- Etiez-vous à Chouvigny le lundi matin six août entre 10 heures et midi ? Savez-vous où se trouve Emilie Blanchet ?
Julien se leva de sa chaise.
- Je vous réponds deux fois par « non », commissaire. Il est vrai que j’avais joué avec l’idée de faire une balade dans les gorges de la Sioule, mais la chaleur m’a fait changer d’avis. Je voulais éviter un trajet trop long en voiture. Je ne suis pas allé à Chouvigny ce jour-là. J’ai grimpé sur le Puy de Louchadière pour y chercher la fraîcheur, un peu de sérénité et une réponse aux questions existentielles que je me pose en ce moment. En ce qui concerne Emilie, j’aimerais désespérément savoir où elle est et si elle va bien.
- Avez trouvé ce que vous cherchiez sur ce Puy ?
- La fraîcheur, non. La sérénité, non plus. Mais je savais en redescendant que Jenny ne pourrait pas faire mon bonheur dans la vie, ni moi le sien. J’avais décidé de rompre avec elle et je voulais renouer avec Emilie. Depuis, j’ai appris que l’une était morte, l’autre introuvable et l’on me soupçonne d’être un meurtrier. J’aurais peut-être mieux fait de rester au lit ce jour-là. Ceci dit, vous n’avez rien d’autre contre moi que le fait que je possède une Dacia rouge. Alors puis-je rentrer chez moi ?
- Allez-y, dit Lagarde, mais restez à Clermont.
Après le départ du jeune homme, le commissaire et le capitaine Dumont se consultèrent du regard.
- Qu’en penses-tu ? demanda enfin Jocelyne.
- Je pense que j’aurais préféré avoir suffisamment d’éléments contre lui pour pouvoir le mettre en garde à vue. Je suis presque certain que nous lui avons appris des choses en le convoquant. Il sait à qui appartient la voiture et le bijou, j’ai peur qu’il fasse quelque chose de regrettable.
- Tu te fais des idées, Jean. J’ai vu son expression aussi, bien sûr. Je pense plutôt qu’il sait que cette pochette de portable appartient à Emilie, c’est peut-être lui qui l’avait offerte à la jeune fille. Je suis sûre qu’il a joué un rôle dans ce crime.
Lagarde ne répondit pas. Il restait persuadé que convoquer à nouveau Julien avait été une mauvaise idée, et lui, le commissaire au flair infaillible, n’avait rien fait pour empêcher cette erreur. La soirée était déjà bien avancée, il rassembla ses notes et salua Jocelyne. Celle-ci, occupée à tapoter frénétiquement sur son clavier d’ordinateur, lui répondit à peine.
Au moment où il franchit la porte du commissariat, quelques grosses gouttes de pluie se mirent à tâcher le béton chaud du trottoir et séchèrent aussitôt. Il leva les yeux vers le ciel. L’orage menaçait, mais il n’éclatait pas. Lagarde s’imaginait une main géante, invisible, qui refuserait d’ouvrir les vannes des nuages afin de priver ceux qui attendaient la pluie de la fraîcheur tant espérée.
Sale temps
Le commissaire s’assoupit peu après 22 heures. Il avait laissé les fenêtres de son appartement grandes ouvertes et le ventilateur tournait à la vitesse maximale au pied de son lit. Son épuisement était tel qu’il aurait pu dormir jusqu’à une heure avancée de la matinée, si un terrible vacarme ne l’eut pas sorti de ses rêves agités vers trois heures du matin. Il venait de rêver que Sven et Jocelyne tentaient de le réveiller en jetant des poignées de cailloux contre ses fenêtres, lorsqu’il revint à la réalité. Les cailloux de son rêve se révélèrent être des grêlons de la taille d’œufs de pigeons qui heurtaient la balustrade du balcon, les vitres et les volets en bois avec un bruit de fin du monde. On aurait pu croire qu’une arme géante mitraillait son immeuble. Les bourrasques de vent, chargé d’humidité faisaient danser les rideaux neufs que Hedda avait accrochés aux fenêtres. Il actionna l’interrupteur de sa lampe de chevet ; en vain, l’orage avait sans doute provoqué une coupure de courant. Les sens et les membres encore tout engourdis par le sommeil, il sortit de son lit. Sous ses pieds nus, il sentit le froid mouillé des grêlons en train de fondre sur le tapis « flokati » grec, une autre acquisition de Hedda. L’obscurité complète créait une sensation de grand vide autour de lui, comme un léger vertige, il se sentait désorienté dans cette pièce pourtant familière, avançant à tâtons, tel un homme aveugle. La foudre flamboyait dans le ciel nocturne, éclairant la chambre un instant, ce qui permit à Lagarde de repérer sa lampe à piles sur une petite table près de la porte.
Commentaires
1 Josie Hack Le 03/01/2016
Merci beaucoup pour vos précisions, c'est toujours très intéressant d'apprendre des anecdotes régionales. J'invente mes histoires d'après des photos que je prends lors de mes randonnées, il y a tellement de beaux coins à découvrir. Je tâcherai de faire une petite allusion au "chemin des muletiers" .
En attendant, je vous souhaite beaucoup de plaisir lors de la lecture des histoires précédentes.
Cordialement
Josie Hack
2 REINHARD Le 03/01/2016
C'est en parlant de livres policiers, que des cousins m'ont fait découvrir votre existence et en consultant votre site je vois des photos de ma commune natale.
Une petite indication sur le chemin des rocailles : ce sont mon père, Jean Giraud et mon frère Marc Giraud qui ont redécouvert ce sentier que dans la famille, nous appelons le chemin des muletiers. Mon père passait , enfant, ses vacances au bourg de Chouvigny dans la maison de ses grands-parents maternels.
En attendant de lire votre roman sur Chouvigny, je vais me précipiter dés la semaine prochaine chez ma libraire afin qu'elle me commande vos livres.
Cordialement
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