Mot de l’auteur
Le bar « Le Tomcat, » ainsi que le « Bar de L’Elfe » existent uniquement dans l’imagination de l’auteur. Tout comme les personnages figurant dans ce roman.
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Du Rouge, du Noir et du Métal
Le bar « Tomcat » jouissait d’une sinistre réputation depuis qu’un meurtre y avait été commis. Lorsque Fred Chapuis, surnommé Fredo, y investit presque toute sa part d’héritage provenant d’un grand-oncle qu’il n’avait jamais vu, il était au courant des faits. L’affaire avait fait beaucoup parler. Depuis, on disait le bar maudit, hanté. On disait y apercevoir des lueurs bizarres la nuit et des formes humaines, alors que l’appartement spacieux au-dessus de l’établissement n’était plus habité. Quelques dames âgées changeaient même de trottoir en passant à proximité de l’endroit. Situé à l’angle d’une rue, l’arrière du bâtiment donnait sur une ruelle très peu fréquentée et était protégé par un mur. On pouvait accéder aux locaux par un portail. Les ombres aperçues certaines nuits étaient sans doute celles des cambrioleurs qui fréquentaient assidûment l’endroit à la recherche d’un mystérieux trésor, mais la police n’arrivait pas à rassurer la population qui habitait dans le voisinage. Ceci était certainement lié à la personnalité du précédent propriétaire, un dénommé Greg Volami. Il ne s’était jamais montré en public, ni aux clients de son bar. Le service était assuré par sa mère et des employés. Ainsi tapi dans son bureau, il s’était livré à des trafics criminels avec un complice, un dénommé Buissot et on lui attribuait plusieurs meurtres, même s’il n’était jamais passé aux aveux.
Fredo était au courant de tout ceci, il disait même que c’était une aubaine pour lui, ses clients n’éviteront pas un endroit dans lequel de tels événements avaient eu lieu, au contraire. Car ses clients seraient tout comme lui, des amateurs de death métal, black métal, heavy métal, enfin bref, métal et ses sous-genres. Et les histoires sinistres et mystérieuses les attiraient.
L’établissement était en vente depuis un an au moment de son achat et le sang versé avait séché depuis longtemps, tout comme d’autres liquides corporels. Le « Tomcat » avait été un club échangiste et le décor que Fredo avait trouvé à vomir, le prouvait. Exit les fauteuils roses, les tissus muraux rouges, les canapés, les couchettes et les affiches de filles en dentelles transparentes et de couples se faisant des câlins. Ici, on ne ferait pas dans la dentelle et les câlins seraient réservés pour les soirs, dans le lit, ou à l’heure et l’endroit où l’envie se manifesterait sauf dans son bar. Car ce serait un bar consacré à la musique. Il avait juste gardé la croix. Décorée de quelques lourdes chaînes et d’un crâne, elle serait du plus bel effet contre le mur de leur future petite salle de concerts. Charlotte, sa femme aurait aimé laisser en place la moquette rouge, mais il s’y était opposé… de la moquette… ! Ridicule ! Le comptoir, d’accord, c’était un comptoir comme un autre. Sinon, un plancher résistant et lavable, des meubles solides, des tas de marques de bières aux noms inquiétants, du genre « Corne du bois des pendus », « Guillotine », « Mort Subite », « Rince Cochon » ou encore « Delirium Tremens », voilà ce qu’il fallait… Des posters de groupes métal représentant de féroces Vikings, des dates de concerts et le décor serait parfait.
Question enseigne, il avait écouté sa Charlotte et le nom « Tomcat » apparaissait à présent en lettres rouges peintes comme si elles dégoulinaient de sang sur fond noir. Certaines personnes la trouvaient d’un goût douteux, vu l’histoire, mais il s’en fichait.
L’ouverture eut lieu au mois de mars, quinze mois après les événements tragiques et quelques semaines plus tard, alors qu’un printemps magnifique avait gagné l’Auvergne, que les tulipes rouges et noires que Charlotte avait mises en jardinières à côté de la porte fleurissaient, Fredo savait qu’il avait fait l’affaire de sa vie. Sa clientèle se fidélisait et il ne se lassait jamais de raconter l’histoire du gars se prenant pour un Elfe qui avait massacré sa « mother » dans le bureau qui était le sien maintenant. Il n’hésitait pas à rajouter quelques gouttes de sang et quelques onces d’horreur pour impressionner les plus durs à cuire. N’avait-il pas trouvé des gouttes de sang jusque dans la cave, pour dire à quel point le parquet en avait été imprégné ! Il avait tout arraché, carrelé, repeint à neuf et maintenant plus rien ne rappelait la présence de l’Elfe et du crime commis dans son bureau et à vrai dire, il le préférait. En signe d’acquiescement, Charlotte disait des petites phrases du genre « c’est vrai ce qu’il dit », ou « il faut croire ce qu’il raconte ! ». Un jour, un gars lui avait dit que les Elfes étaient immortels et qu’il risquait de revenir hanter les lieux. Balivernes ! Volami avait été un dingue qui se prenait pour une créature de légende et il était mort et incinéré.
Lui-même était vivant et à l’aise financièrement. Il pourrait bientôt se permettre d’embaucher deux personnes pour faire le service au bar. Charlotte rêvait depuis longtemps de passer une soirée dans son canapé, elle n’avait même pas encore eu le temps d’aménager correctement l’appartement situé au-dessus du bar. Fredo, de son côté, souhaiterait se consacrer plus à la musique, après tout, c’était un bar à musique. L’organisation des petits concerts lui plaisait et les autres soirs, il serait occupé à choisir les cd que ses clients entendraient en venant boire leur verre. Il avait déjà établi un petit rituel. L’ouverture du bar était toujours accompagnée par un morceau du groupe BLS, car voir Zakk Wylde, leur leader, en concert à la Coopérative de Mai avait été un événement mémorable pour lui. La fermeture était invariablement marquée par la chanson de Mr. Big « To be with you », pour faire plaisir à Charlotte dont l’adolescence avait été bercée par ce morceau. Au son des guitares de Mr. Big, les clients savaient que l’heure de la dernière bière était arrivée. On continuait encore à discuter et fumer dehors, ou à roter sa « mousse ».
L’embauche de personnel lui permettrait donc de devenir vraiment le patron. Il était en train de réfléchir s’il serait judicieux d’équiper ses serveurs d’uniformes. Charlotte proposait du rouge et du noir.
- Toi et ton rouge et noir, ma parole, tu es fan de Stendhal, ma vieille !
- Je ne sais pas. Qu’est-ce qu’il chante ton Stan Dal ? répondit Charlotte, étonnée.
- Retourne à l’école, c’était un écrivain. Fredo fit entendre son gros rire.
- Comme si j’avais le temps de lire ! dit Charlotte en haussant les épaules.
- Tu l’auras quand on aura trouvé nos gars ou filles pour servir au bar et ils seront en jean et t-shirt noir.
Au tour de Charlotte d’exploser de rire :
- Si c’est pour t’aider à les reconnaître au milieu des clients, tu es mal parti, ils portent tous un jean et un t-shirt noir.
Fredo suggéra un crâne sur le t-shirt, mais tous les clients portaient des t-shirts avec des crânes dessus. Pour finir le débat, ils se mirent d’accord pour équiper leur personnel de t-shirts noirs marqués « Tomcat » en rouge et un elfe blanc comme logo. Charlotte finit même par imposer une nouvelle enseigne. L’ancienne trouva sa place dans la salle au-dessus de la croix et la nouvelle, tout en gothique affichait : -Le Tomcat » en lettres rouges, et dessous : Le bar de l’Elfe, et un splendide elfe blanc surveillait les entrées et sorties des clients.
Et bientôt, le nom Tomcat tombait dans l’oubli, on disait :
- On se retrouve au bar de l’Elfe.
Fredo, le nouveau patron
Il ne restait une seule chaise en plastique libre à la petite terrasse du Bar de l’Elfe. Fredo n’en finissait pas de pester contre la loi d’interdiction de fumer dans les bars, car une partie des clients installés à l’intérieur faisaient d’incessants aller-retour pour griller leur clope avec leur demi. Il aurait aimé revenir à l’époque de la cohabitation entre fumeurs et non-fumeurs, rêve impossible, bien sûr.
Nicolas, le serveur embauché depuis peu, slalomait entre les tables avec son plateau, Fredo le surveillait en redoutant la casse. Elise remplissait les verres au comptoir en compagnie de Charlotte. La patronne était venue donner un coup de main, c’était un week-end de juillet, il faisait chaud et les clients avaient soif. Fredo, jonglant avec les cd se demandait s’il avait fait le bon choix. Elise était une pro, pas de doute, mais si Nicolas était toujours là au bout d’un mois, il le devait uniquement au bon cœur de Charlotte, car lui-même aurait préféré le virer dès sa deuxième semaine de présence. Tony, le premier serveur embauché en même temps qu’Elise, avait été un pro aussi et amateur de musique rock. Il avait servi les demis d’une main experte au rythme de la musique, même. Il ne s’était pas déplacé péniblement entre les tables, les sourcils froncés, non, il avait dansé, son plateau à la main. Il aurait pu être le serveur parfait pour le bar de l’Elfe et les clients l’adoraient. Malheureusement, au bout de seulement un mois, il s’était tué en s’encastrant sous un poids lourd sur une bretelle d’autoroute. Apparemment, les freins de sa voiture avaient lâché.
L’été était arrivé, ils n’avaient pas le temps de pleurer leur Tony. Il fallait un remplaçant de toute urgence et le premier qui s’était présenté était Nicolas. Il était maladroit, faisait attendre les clients et ne supportait pas la musique métal. Il avait toujours l’air d’endurer un supplice ! Lorsque Fredo lui avait suggéré qu’il s’était peut-être trompé de boîte, il l’avait supplié de lui donner sa chance, disant qu’il avait un besoin urgent d’argent. Charlotte était intervenue et il était toujours là, à casser les verres. Fredo souhaitait vivement qu’il trouve rapidement un autre boulot pour le remplacer par quelqu’un d’efficace et amateur de musique hard rock.
Le week-end suivant, un groupe régional allait se produire dans leur salle de concerts. Ce serait la cohue et il serait obligé de mettre la main à la pâte au service. Pas grave, le bar était une réussite, la vie était belle et il aimait sa Charlotte !
La nuit était tombée, il s’avança sur la terrasse pour profiter lui-même un peu de l’air tiède de juillet. Dès qu’il apparut, des clients levèrent leurs verres vides, l’air un peu contrariés. Il s’approcha, prit les verres et les fit remplir au bar. Où était Nicolas ? Elise haussa les épaules et Charlotte déclara l’avoir vu filer en direction des toilettes, un quart d’heure plus tôt. Fredo ne dit rien mais jura que ce bon à rien allait être viré avant la fin de l’année.
Concert au Bar de L’Elfe
- Quelle chaleur, boss, fit remarquer Sven à Lagarde en sortant du commissariat. J’ai hâte d’être en août pour partir en Norvège.
- Et Cathy, qu’en pense-t-elle ? Elle ne préfèrerait pas aller construire des châteaux de sable sur une plage ensoleillée avec vos garçons, plutôt que de se geler au Pôle Nord ?
- Il ne gèle pas en Norvège au mois d’août, enfin pas partout, ensuite elle aime le pays, répondit Sven, presque offensé par les propos tenus par son supérieur. Cette année on visitera le musée des bateaux vikings à Oslo, les garçons vont adorer ça, poursuivit-il.
- Bonne idée, consentit Lagarde, j’aimerais voir un drakkar moi-même.
- Accompagnez-nous boss ! proposa Sven plein d’enthousiasme, je vous ferai visiter le pays avec plaisir et vous constaterez qu’il ne fait pas aussi froid que vous pensez.
- Merci Sven, mais j’ai réservé le mois de septembre pour Hélène et moi-même et nous ne savons pas encore où nous irons. Pas au Pôle Nord en tout cas, songea-t-il.
- Dommage, dit Sven. Changeons de sujet. J’ai vu une pub annonçant un concert de musique métal samedi dans un bar à Clermont.
- Et vous voudriez m’inviter ? Lagarde prit son regard moqueur.
- Euh, non boss, répondit Sven en riant, mais devinez où il a lieu ce concert ? Au Tomcat, appelé « Le bar de l’Elfe » maintenant.
- Il a donc enfin réussi à vendre, ce pauvre Georges, dit Lagarde, il n’y croyait pas trop après les horreurs qui se sont produites dans cette boîte.
Georges, l’ancien serveur du Tomcat et cousin des Volami avait hérité de l’établissement.
- Oui, sale affaire, acquiesça Sven, c’est un bar à musique à présent.
- Mon ami Max m’a assuré qu’il faudrait impérativement purifier l’endroit par un rituel avant de le rendre habitable à nouveau, raconta Lagarde.
Il sourit en pensant à son ami. Depuis que Max s’était cru envouté, il était passionné du paranormal, et restait persuadé que la fin de l’ancien propriétaire du Tomcat était due au mauvais sort qu’il lui avait jeté.
- Ah oui, Max, il est très sympa, mais un peu… Sven agita une main à proximité de sa tête.
- Il a toujours eu un grain, mais je l’aime beaucoup, répondit Lagarde en riant.
- Admettons que la boîte était vraiment hantée, je parie que tous les fantômes ont dû fuir maintenant, à cause des décibels du hard rock, répondit Sven.
- Les cambrioleurs aussi, j’espère, dit Lagarde.
La police supposait que les cambrioleurs cherchaient de la drogue, alors qu’en fouillant la maison de la cave au grenier ils n’en n’avaient pas trouvé un gramme.
Le commissaire Lagarde et Sven, son adjoint, faisaient équipe depuis maintenant quatre ans. Ils avaient résolu ensemble la mystérieuse et sanglante affaire du bar « Le Tomcat ». En pensée, Lagarde souhaitait bonne chance au nouveau propriétaire.
Le nouveau propriétaire ne se sentait nullement menacé par des fantômes ou des cambrioleurs. Il fit un dernier tour de sa petite salle de concert. Les musiciens avaient installé leurs instruments, scintillants sous les spots du plafond. Charlotte passa fébrilement un dernier coup de chiffon sur la croix, geste jugé inutile par Fredo, elle allait finir par user le bois. Mais il ne dit rien.
A vingt et une heures, le bar était plein à craquer, les musiciens se frayaient fièrement un chemin à travers la foule. Nicolas choisit ce moment-là pour faire tomber un plateau chargé de verres, pleins, bien sûr. Cet incident déclencha la première vague de « bravo » et d’applaudissements de la soirée. Rouge de honte et de colère, il se mit à ramasser les débris sous le regard dédaigneux du guitariste qui trouva que c’était dommage pour la bonne bière. Charlotte vola à son secours, armée d’un balai, jetant des regards inquiets en direction de son époux qui préféra ignorer l’incident et faire le service dans la salle lui-même. Nicolas se trouva relégué à la vaisselle au bar.
Organisée de telle façon la soirée se déroula sans autre casse et incidents déplaisants. Le bar de l’Elfe vibrait sous les accords du heavy métal, les clients consommaient, la caisse enregistreuse enregistrait sans relâche sous les doigts agiles de Charlotte ou d’Elise.
Le bar de l’Elfe n’avait jamais accueilli autant de monde, même à l’époque où il s’appelait encore « Le Tomcat ».
Vers minuit et demi, quelques clients fatigués s’attardaient encore sur la terrasse, peinant à finir leurs derniers verres, les musiciens avaient rangé leurs instruments dans leurs voitures et discutaient au bar avec Fredo. Charlotte et Elise débarrassaient et Nicolas surveillait la terrasse en fumant. Le guitariste du groupe, un géant musclé, se laissa tomber sur une chaise et demanda au garçon de lui servir un demi, bien frais.
- Mais ne le renverse pas, ajouta-t-il.
Nicolas le fusilla du regard et s’exécuta. Le géant prit son verre et se mit à faire les cents pas le long du bâtiment, contemplant la façade couleur saumon en fredonnant, l’air rêveur. En contournant le bâtiment, « Big Mick », car c’était ainsi qu’on le surnommait, sentit la chaleur accumulée durant la journée s’évaporer des pierres. Il arriva dans la ruelle sombre et déserte et vit le mur d’une hauteur d’homme qui cachait le bâtiment. Le portail était facile à enjamber pour un gars comme lui. Il atterrit dans une petite cour, décorée de jardinières contenant des bégonias et deux arbustes en pots. Quelques fûts de bière et des caisses de bouteilles étaient entreposés plus loin, près d’une porte. Une fenêtre était entrouverte, il s’en approcha, passa sa tête et alluma sa petite lampe torche, après avoir posé son verre vide par terre. Cela ressemblait à un bureau. Quelle chance ! C’était la pièce qu’il voulait visiter ! Il s’apprêtait à introduire sa lourde carcasse par la fenêtre lorsqu’un coup violent fut asséné à son crâne et tout devint noir autour de lui.
Une voiture s’approcha, tous feux éteints, du portail qu’une ombre vint déverrouiller, trois hommes s’emparèrent de « Big Mick », inconscient et le hissèrent dans le coffre du véhicule, puis celui-ci s’éloigna du bar de l’Elfe.
Fredo ferma la grille du bar et verrouilla la porte, il était deux heures du matin, tous les clients étaient partis, les verres lavés et rangés, le comptoir astiqué, les bouteilles vides évacuées. Les musiciens avaient fini par partir aussi après avoir vainement cherché le guitariste qui semblait s’être volatilisé. Nicolas avait raconté qu’il lui avait servi un demi en terrasse, mais ne l’avoir plus vu ensuite. On en avait déduit qu’il devait être parti finir la nuit dans un autre bar et on avait oublié l’incident « Big Mick ».
Fredo était heureux, encore quelques soirées comme celles-ci et ils pourraient se payer une résidence secondaire. Ce bar était une véritable mine d’or, à condition de savoir le gérer.
- Allez, viens ma Charlie, on va boire une coupe et danser un slow pour fêter ça, on a gagné gros ce soir.
Il mit « In this River » de BLS et enlaça Charlotte.
- Tu deviens un vrai businessman mon chéri, gloussa-t-elle.
- Tu peux le dire, répondit-il en lui faisant un clin d’œil, allez, une autre coupe, demain on fera la grasse matinée, on ouvre seulement à dix-huit heures.
Les lumières du Bar de l’Elfe s’éteignirent bien après l’heure réglementaire, cette nuit-là.
Big Mick a disparu
Assis dans leur bureau, maudissant la canicule de cette fin juillet, du moins en ce qui concernait Sven, Lagarde et son adjoint venaient de clore une enquête en cours. Un soi-disant braquage à main armé commis dans un bureau de tabac au moment de la fermeture. Il n y avait aucun témoin direct, le buraliste avait déclaré que l’attaque avait eu lieu au moment où il s’apprêtait à verrouiller la porte, donc plus de clients présents. A l’heure actuelle, le cambrioleur se trouvait à l’hôpital avec une blessure par balle au bras, car au moment où le commerçant avait vu une arme pointée sur sa personne, il avait tout simplement eu le réflexe de sortir la sienne de dessous le comptoir et de tirer le premier, selon lui, en état de légitime défense. « De toute manière, la police ne fait rien pour nous protéger », avait-il déclaré.
- Un mauvais western, conclut Sven.
- Comme vous dites, approuva Lagarde.
Après avoir interrogé les voisins, il s’était avéré que les deux protagonistes du braquage habitaient la même rue et que le buraliste avait l’habitude de recevoir la femme du « cambrioleur » chez lui. Voulant intimider son rival, celui-ci s’était rendu au bureau de tabac, armé d’un pistolet factice. Résultat : il s’était pris une vraie balle dans le bras, tirée avec un vrai pistolet.
- La chaleur a l’air de rendre les gens dingues.
- Au fait Sven, continua Lagarde, est-ce que, par hasard, vous avez assisté au concert dans le bar Tomcat dont vous m’avez parlé récemment ?
- Euh, non boss, je n’apprécie pas assez le métal, pourquoi ?
- Parce que le guitariste du groupe qui s’est produit dans le bar ce soir-là est porté disparu, personne ne l’a revu depuis ce concert.
- Il a disparu au Tomcat, je veux dire au Bar de l’Elfe ?
- Peut-être, c’est sa compagne qui a signalé sa disparition ce matin.
Décidément, si j’étais superstitieux, je dirais que ce bar est maudit comme prétend votre ami Max. En plus, un de leurs serveurs s’est tué dans un accident de la route, il y a deux mois.
- Oui, cette affaire m’intéresse, Sven, nous allons interroger le tenancier de l’endroit.
- Vous avez raison, boss, comme toujours. Allons au Tomcat !
Le Tomcat – Bar de l’Elfe, d’après son enseigne à deux noms, apparut accueillant à Lagarde sous le soleil de cette fin de matinée. Une petite terrasse avait été aménagée mais elle ne pouvait accueillir guère plus d’une dizaine de clients. Sinon, vu de l’extérieur, pas de grands changements par rapport à l’époque du Tomcat. Un jeune homme était en train de servir des boissons en terrasse. Il salua poliment les policiers qui entrèrent dans le bar. Ici, en revanche plus rien ne rappelait l’ancien club échangiste. Plus de moquette rouge, plus de fauteuils roses, mais un sol carrelé et des tables et des chaises en bois. Aux murs, des posters représentant des hommes ressemblant à des bûcherons ou des guerriers sanguinaires d’une époque lointaine. Mais les guitares et les batteries qu’ils avaient l’air sur le point de détruire, indiquaient que ce devaient être des musiciens.
Une jolie femme rousse, qui était occupée à nettoyer des tables fredonnait sur un air de musique diffusé par les haut-parleurs. Elle leur adressa un sourire de bienvenue en disant :
- Prenez place, messieurs, Nicolas va venir vous servir !
Elle continua à passer énergiquement son chiffon en chantant : « More than words… ». Le jeune homme entra avec son plateau et passa derrière le comptoir. Il regarda Lagarde et Sven d’un air vaguement interrogateur en disant :
- Messieurs… ?
En réponse, Lagarde sortit sa carte. Les yeux noisette du serveur restèrent sans expression.
- Nous désirons parler au patron, est-ce vous ? demanda Sven.
- Non et je ne l’ai pas encore vu aujourd’hui, mais la dame là-bas, il désigna la rousse, est la patronne. Charlotte, deux policiers veulent parler à Fredo !
Charlotte approcha, son chiffon à la main.
- Des policiers ?, dit-elle, l’air inquiet.
- Nous enquêtons sur la disparition d’une personne, Michel Vignaud. Un musicien qui a joué dans votre bar samedi dernier.
- « Big Mick » ! s’exclama-t-elle, ils ne l’ont toujours pas retrouvé ?
- Vous saviez qu’il était porté disparu, Madame ? demanda Sven.
- Officiellement porté disparu, non, mais samedi après leur concert, au moment où les autres voulaient partir, il n’était pas là. On l’a tous cherché, puis on a pensé qu’il était parti boire un verre ailleurs. Ses collègues ont fini par rentrer chez eux. Je vais vous appeler Fredo.
Elle partit par la porte portant le petit panneau « Privé ». Cette porte, Lagarde et Sven l’avaient déjà franchie dans un passé pas si lointain, au moment où le bar était le « Tomcat »
Le dénommé Fredo apparut très vite.
Le dénommé Fredo apparut très vite.
- Que se passe-t-il Charlie ? Encore en train d’écouter tes glam-rockers ? dit-il.
Visiblement, il aimait taquiner sa rousse, tout en lui passant amoureusement une main sur les cheveux. Il baissa le son et regarda les policiers. C’était un grand gaillard barbu, ses longs cheveux châtains étaient attachés en queue de cheval sur sa nuque, son regard était bienveillant et franc.
- Alors, que me veut la police ? demanda-t-il.
- C’est Mick, chuchota Charlotte, il a disparu.
Lagarde répéta l’histoire de la disparition de Mick le guitariste, depuis son concert du samedi soir.
- Après le concert, il était au bar avec ses collègues, on a discuté, quelques clients étaient là aussi, d’autres dehors, assis en terrasse. A un moment donné, il est sorti pour prendre l’air, je suppose, je ne l’ai plus vu depuis, déclara Fredo.
- Moi non plus, confirma Charlotte.
- Moi si ! intervint Nicolas.
Lagarde se tourna vers le jeune homme :
- Racontez-nous !
- Je faisais le service dehors, il est venu s’asseoir et a commandé un demi. Je l’ai servi et je l’ai vu se promener avec son verre à la main. Ensuite, je suis rentré pour aider à débarrasser la salle.
- Il se promenait dans quelle direction ? demanda Sven.
- Je ne suis pas resté longtemps, juste le temps de fumer une cigarette, je l’ai vu marcher le long du bâtiment, comme s’il voulait se dégourdir les jambes, ou peut-être attendait-il quelqu’un ?
- Mais vous n’avez vu personne arriver à ce moment-là ?
- Non, personne.
La voiture de Big Mick était restée à l’endroit où il l’avait laissée en arrivant, sa compagne était venue la récupérer après avoir signalé sa disparition. Sa guitare était restée dans le bar. Nul ne savait où se trouvait Big Mick. Sauf ceux qui l’avaient fait disparaître.
- Zut, s’exclama Sven, une affaire de ce genre juste avant mes congés. Je dois partir lundi, j’espère qu’on le retrouvera d’ici là.
- Souhaitez-vous plutôt qu’on ne trouve pas son cadavre d’ici-là, dit Lagarde, en attendant, rien ne vous empêche de prendre vos vacances, il peut avoir disparu volontairement, Mick le guitariste. Quoi que…
Sven le regarda d’un air affolé. Quand son boss commençait à avoir des doutes, l’affaire s’annonçait toujours épineuse. Il souhaita vivement que Big Mick reste introuvable encore quelques jours, à moins qu’il ne choisisse de réapparaître sain et sauf, mais surtout qu’on ne retrouve pas son corps.
Le vœu de Sven fut exaucé. La semaine s’écoula et Big Mick semblait avoir disparu de la surface de la terre. Personne ne l’avait vu depuis la nuit du samedi au dimanche précédent. Il n’avait fait d’apparition dans aucun des bars à proximité du Tomcat, du moins personne ne se souvenait l’avoir vu et il ne passait généralement pas inaperçu. D’après le témoignage de Fredo, sa ressemblance avec le grand Zakk Wylde en personne était bluffante. Grand, musclé, des cheveux blonds jusqu’à la taille. Les femmes, surtout, l’auraient remarqué.
Le lundi, Sven, soulagé et heureux, prit la direction du grand Nord avec sa famille. Leur chat, ex Tomcat, rebaptisé Thor, fut confié à Lagarde et Hélène. Avec cet animal sous les yeux, Lagarde ne risquait pas d’oublier que le Tomcat n’avait pas fini de faire parler de lui. En effet, c’était le chat appartenant à l’ancienne propriétaire de ce bar. Sven l’avait adopté après le drame. Et si Max avait raison ?
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